Description physique
Bien  qu’il soit grand, Russell n’est pas imposant à proprement parler. D’apparence plutôt chétive, même, les gens sont souvent surpris d’apprendre qu’il travaille le bois. Il teint sa chevelure fine – dans tous les sens – pour éliminer toute trace de blanchiment sur ses tempes, tout en préservant leur coloration naturelle. Du roux vibrant de son enfance à l’auburn de son adolescence, il arbore plutôt un brun pâle et cuivré, parsemé de blanc au niveau de sa courte barbe. Son regard d’un azur vibrant révèle son sens de l’observation, alors que le léger affaissement de ses sourcils, et sa moue constante lui donnent un air revêche qu’il se plaît à entretenir.
Hors de l’atelier, il revêt généralement des chemises ou des tricots d’apparence sobre, alors qu’il travaille le bois en t-shirt ou en pull, selon les saisons. Il n’est pas rare non plus de le voir arborer une cravate ou un nœud papillon, généralement offertes par sa tendre moitié.

Caractère
S’il ne se considère pas asocial, Russell se contente tout de même préférablement d’un groupe restreint de proches, et se sent rapidement envahi lorsque trop de gens se trouvent à la maison, ou lorsqu’il prend un bain de foule. Il excelle dans les interactions avec une ou deux personnes, où il peut observer tranquillement ses interlocuteurs.
Doté d’une grande curiosité et d’un bon sens pratique, Russell a su se tenir au fait des technologies émergentes et, malgré sa passion pour le bois, se considère comme un technophile. Il apprécie se retrouver en nature, et c’est l’une des raisons pour lesquelles il a insisté pour s’installer là où ils sont désormais. De nature pratique et terre-à-terre, ses décisions sont plus souvent rationnelles et ancrées dans sa conception de la réalité qu’émotives.
Franc et direct, Russell ne cache pas ce qu’il pense et aborde les problèmes avec une approche frontale, sans tenter de les contourner, pour arriver à sa solution.
D’apparence parfois austère, il sait trouver le bon mot lorsque l’occasion se présente pour dérider un maigre auditoire.

L’Idaho avait vu naître les parents de Russell, ainsi que sa fratrie entière. Une famille de cultivateurs, spécialisés dans la culture de lentilles et de betterave à sucre, au coeur de l’état de la pomme de terre. Une famille de sorciers, également, au coeur d’un état fortement religieux : l’on pourrait aisément croire à une intention suicidaire. Pourtant, depuis leur arrivée ici, la vie rurale avait semblé être une bénédiction. On ne s’occupait pas vraiment d’eux, tant qu’ils participaient à la vie communautaire et se montraient être des citoyens décents.  L’école à la maison était encore rare à l’époque, et réservée à quelques minorités religieuses dont les concitoyens de la famille Palicki présumaient qu’ils faisaient partie. Le grand avantage de cette méthode éducative était de pouvoir inculqué les notions de magie aux enfants en même temps que les matières académiques; et une fois leur contrôle jugé adéquat, ils se voyaient permis de joindre le collège ou le lycée public.

Le cheveu roux, le nez dans les bouquins, et des théories parfois étranges sur le monde, Russell n'avait pas été un adolescent particulièrement populaire. Il s'était mis à la guitare en espérant que ça changerait la donne. Toutes les femmes aiment un mauvais garçon en veste de cuir et qui sait jouer de la guitare, disait-on à l'époque. Il suivit donc ce conseil de sagesse populaire à la lettre et son prénom fut tronqué de son ultime syllabe, alors que son milieu social évoluait en conséquence : ce qu'il regrettera un jour, lorsque sa timidité se sera rappelée à lui. Il pratique tout de même encore la guitare, dans certaines occasions opportunes.

À 17 ans, Russell avait été surpris derrière la grange des Thompsons, à embrasser leur fils. On lui avait passé un savon et interdit de revoir le garçon. Ça avait créé un scandale au village, qui s’était joint en prière en soutient aux parents Thompson et Palicki.

C’est également à cette époque que Russ réalisa qu’il avait le choix de se montrer ou non studieux, et comme il n’aimait pas les études, il choisit de pratiquer un métier. Après le lycée, il effectua un cours d’un an, puis fit quelques stages auprès de maîtres menuisiers et de maîtres ébénistes. Il s’était découvert une passion pour le travail du bois, et la satisfaction de produire quelque chose de ses mains, sans artifice magique. Surtout, il pouvait créer quelque chose de beau et de personnalisé. Cela lui requérait beaucoup de pratique et de patience, mais ça en valait la peine. C’était aussi un métier qui ne risquait pas de tomber en désuétude, crut-il peut-être à tort.

Russell s’installa quelques temps après l’incident Thompson dans la capitale de l’état, où il prétexta qu’il aurait plus de facilité à poursuivre ses études puis se trouver un emploi. Les effets malsains du tabou qui l’entourait désormais n’y étaient évidemment pas étrangers Il termina sans problèmes ses études et fut engagé chez un fabricant de meubles. Pour arrondir les fins de mois, et occuper ses fins de semaine, il prenait également quelques contrats dans ses temps libres.

Pal, comme on l’appelait à l’atelier, rencontra sur les lieux de son travail Juliet, sa future épouse. Il la courtisera quelques années avant de demander sa main en mariage. Leur fille Alice vint au monde au bout d’une décennie presque entière : une bénédiction pour les parents qui désespéraient d’avoir un enfant. La vie de famille battait son plein, heureuse autour de leur petit bout de chou. Une routine tranquille et sans aléas, réglée comme un pendule.


Aussi ne put-il jamais imaginer la trahison dont il fut la victime, quand il trouva Juliet en compagnie d’un homme dans le lit conjugal. Russell se pinça, par réflexe, pour vérifier s’il n’avait pas une expérience de voyage astral. Ou une quelconque explication plus logique que la terrible réalité. Il y eut un bruit métallique, alors qu’on se rhabillait devant lui. Tout se déroulait au ralenti, dans un flou absolu, alors que son cerveau tentait des gymnastiques arithmétiques pour comprendre comment cette équation qu’était son couple pouvait s’être résolue ainsi. Des échos de paroles lui parvinrent. Des excuses. Juliet qui… avait voulu lui dire? Elle lui expliquera encore et encore sa lâcheté de ne l’avoir fait auparavant.

La porte d’entrée s’était refermée comme un coup de feu, ramenant Russell sur terre. Juliet devant lui. Il se pencha pour reprendre son trousseau de clés tombé au sol.
- C’était Gary.
"Oui."
- Ça fait longtemps?
Le couple échangea un regard et Russell comprit sans un mot. Son meilleur ami. L’un des premier qu’il se soit fait ici, à Boise, était un hypocrite.
- Oublie. Je veux pas savoir.

Russell dormit dans le salon, et après quelques semaines, et plusieurs discussions, il s’entendit pour divorcer de son épouse. Il avait insisté pour rester dans la vie, et l’avenir de sa fille. Juliet avait accepté, et malgré la nouvelle distance entre eux, ils parvinrent à garder une relation presque saine; cordiale à tout le moins.

Le cocu était tombé sur Thompson au hasard d’une soirée au pub. Ils avaient discuté, longuement, à coeur ouvert. Comme de vieux amis qui reprenaient contact après des années sans : ce qu’ils étaient. Thompson convainquit Russell de l’accompagner au festival de la Fierté de la ville. S’ensuivit une implication pérenne du sorcier dans cette communauté.


Russell trouva à nouveau l’amour, sous le nom de Magaly. Toujours en instance de divorce, ils firent tout de même rapidement vie commune. De quelques années plus jeune que lui, Magaly s’entendait bien avec Alice, mais voulait un enfant qui soit le sien. Idéaliste, et peut-être naïve, elle s’impatientait du manque de succès de leurs tentatives, et lorsqu’il lui dit le temps qu’il avait fallu avant qu’Alice ne vienne le bénir de son existence, elle ordonna qu’ils prennent tous deux rendez-vous à une clinique de fertilité. Le verdict tomba comme un couperet : Russell était infertile, et Alice ne pouvait être son enfant. Il se promit d’emporter cette information dans sa tombe. Magaly l’abandonna, en larmes, expliquant que son plus important projet de vie était de devenir mère. Désemparé, le père à mi-temps se lança dans son travail avec plus de passion que jamais, et se promit de ne plus laisser son coeur se jouer de lui de la sorte.

Palicki travaillait sans cesse, soit pour son employeur, pour des contrats en extra, ou à l’asso où il était l’un des bénévoles les plus zélés. Il était évident que le bourreau de travail noyait ses problèmes dans une autre drogue que l’alcool.


Russell avait à peine rangé son Nokia dans la poche de son jeans que son nouveau client, un homme qui devait faire le même âge, pointait le bout de son nez, jurant de ne pas avoir voulu écouter aux portes.
«Alice est votre femme?»
-Ma fille.
« Errr...»
-Tout va bien?

Offusqué, Russell trouvait qu’Alice n’était définitivement un nom si terrible qu’il justifiait une telle réaction. Sanderson, son client, lissa sa chemise pour retrouver son habituelle composition élégante.

« Oui, ce... C’était également le nom de ma fille. Le hasard de la situation m’a pris de court, tout simplement.»
-C’est un joli nom. Faut pas être désolé, m’sieur.
Il comprit tout à coup ce que la phrase de l’ingénieur impliquait.
-Mes condoléances.
«Vous n’y êtes pour rien, allons donc.»

Sanderson sourit. Il était évident qu’il n’avait jamais évolué dans les mêmes sphères que le sorcier qui, lui, avait grandi sur une ferme, avant d’emménager dans un appartement minuscule et légèrement en marge de la partie intéressante de la ville. Son client était un homme qui transpirait d’une force tranquille, presque brutale, mais entièrement contrôlée derrière ses bonnes manières. "Le genre de type qui a des couverts d’argent", s’était dit le menuisier lorsqu’il était passé pour la première fois pour voir l’état de ce buffet dont il avait commandé la réparation. Le sourire nacré du bourgeois fit sourire Russell en réponse. Il avait conscience qu’il en pinçait pour un type qui n’avait rien à voir avec lui-même, et retourna à ses dessins sans un mot de plus. Lorsque le client eut le dos tourné, il en profita néanmoins pour enchanter le meuble qui lui avait été commissionné d’un charme apaisant tout simple.

«Vous travaillez bien. Pourrai-je vous rappeler pour d’autres commandes?»

Russell avait simplement hoché de la tête, le regard planté dans celui de myosotis de son interlocuteur. Sanderson n’avait pas menti : quelques jours plus tard, il téléphonait au sujet d’une marche d’escalier qui couinait. Ce fut ensuite une table de salon qui devait être poncée et  laquée à nouveau, et ainsi de suite.


Il fallut à Russ quelques semaines avant de songer que l’intérêt envers son client était peut-être réciproque. En effet, bien que Russell ne se jugeait pas suffisamment bien – ou joli, s’il devait être entièrement honnête – pour son client, Miroslav "Freddy" Sanderson renouvelait sans cesse les contrats et opportunités de le faire travailler pour lui. Le sorcier se dit qu’il ne perdait rien à tenter de passer une soirée en bonne compagnie. Il fallut donc que Russell invite Freddy à prendre un café pour forcer ce dernier à admettre qu’il l’appréciait. Le bourgeois semblaient toutefois coincé – ou bouché – et Russell dut prendre les devants pour presque toutes les étapes de leur relation, de leur premier baiser au jour où il décida qu’Alice et lui vivraient dorénavant avec Freddy.

Marqué par ses mauvaises expériences passées, le sorcier craignait toujours que Freddy ne l’abandonne du jour au lendemain, sans signes précurseurs. Même au bout de décennies de vie commune et de discussions rassurantes sur le sujet, il arrivait que le doute pointe de nouveau le bout de son nez pour priver Russell d’une nuit de sommeil réparateur. Une conversation libératrice, et unique, entre les deux hommes porta sur leur seconde nature respective. Russell avait hésité à admettre être un adepte de magie pour laisser la porte ouverte à Freddy de répondre, ou non, mais sa nature directe prit rapidement le pas. Il demanda sans détour, les poignets dans l’eau de vaisselle, si Freddy était un lycanthrope. L’expression de son petit copain répondait d’elle-même et il joua carte sur table, prouvant sa magie à l’aide d’un petit tour tout ce qu’il y avait de plus simple.


Si traquer le cycle lunaire pour observer leur correspondance avec les périodes de réclusions de Freddy était une chose plutôt aisée, le loup-garou avait des surprises mieux gardées. La première était son âge plus élevé que Russ ne l’avait d’abord cru, et la seconde était son réel prénom, que le sorcier adorait. Il abandonna immédiatement le surnom de Freddy pour celui de Miro.

En raison du passé mouvementé de Miroslav, qui avait tout perdu suite à la traque et l’attaque de chasseurs, les deux hommes déménagèrent en Louisiane, puis en Nouvelle-Angleterre. La garde d’Alice était toujours un sujet de tension entre eux et Juliet, mais ils parvenaient à des ententes satisfaisantes, à défaut d’être égales. C’est en revenant de l’aéroport, où ils avaient porté la petite pour qu’elle rentre sans problème en Idaho, que Russell avait mentionné Magaly, et la raison derrière leur rupture. Vif, Miroslav n’avait eu besoin ni d’un dessin ni d’explications supplémentaires pour comprendre les implications de cet aveu.
« Elle le sait ? »
- Non! Si elle décidait de vivre avec son géniteur ?
« Sait-elle de qui il s’agit ? »
- Non, admit Russell.
« Et toi ? »
- J’ai mes doutes…

Après tout, Gary était toujours avec Juliet, et avait toujours été un beau-père exemplaire, aussi frustrant à admettre que ça puisse être pour Russell.

« Comptes-tu lui en parler. »
-Tu crois que je devrais ?
« C’est ta fille. Ce que je crois est sans importance. »
-Pas pour moi. Je devrais peut-être en parler avec Juliet, pour voir si elle sait, déjà. Et ensuite pour discuter ensemble avec Alice.
« Cela me semble judicieux. Ne sous-estime pas Alice. Elle n’a que quatorze ans, mais elle est intelligente. Surtout, elle t’aime. »
La discussion se passa bien, malgré la confusion et les larmes qui venaient un peu de toutes parts. Alice choisi même de passer de plus longue vacances, cet été-là, chez Russell qu’à son habitude. Pour ensuite ne pas rentrer à Boise, ce qui déconcerta les deux hommes dérangés dans leur routine. Quatre ans plus tard, elle repartait, pour débuter son cursus universitaire. La maison sembla soudainement bien vide au couple. Miroslav se souvint du passé de bénévole de son chéri, et offrit de reprendre le flambeau. Il insista toutefois pour s’engager auprès de la jeunesse en difficulté.


Un an plus tard, Miroslav arrêta net Russell, lors d’une balade en forêt. Le sorcier en eut le souffle coupé, et n’eut le choix de se taire, puis de suivre son partenaire, qui reniflait une piste. Au bout de ladite piste, un garçon chétif pleurait, roulé sur lui-même. Russell demanda au gamin ce qu’il faisait là, seul, et s’il avait besoin d’aide. La seule réponse qui lui parvint fut grossière : le garçon voulait clairement être laissé à lui-même. Russell insista, lorsque Miro lui saisit la main pour l’entraîner plus loin, ses encouragements se transformèrent en protestations, puis se turent devant une vision sordide. Les corps calcinés de ce qui semblait être une famille gisaient empilés dans une fosse naturelle. Miroslav annonça qu’il croyait que c’était une meute, et retourna avec empressement vers l’enfant : il était peut-être encore en danger. Cette fois, ils adaptèrent leur approche. Le gamin confirma qu’il connaissait les gens qu’ils avaient vu  et fondit en larmes, inconsolable. Au bout de la nuit, ils purent lui soutirer son prénom : Remy, et le convaincre qu’il était imprudent de rester seul au coeur de la forêt.

Le louveteau orphelin avait besoin d’un nouveau foyer. Miroslav craignait que les familles d’acceuil soient dangereuses pour le garçon, et offrit de l’accueillir chez eux. Lui-même connaissait la souffrance de la perte soudaine d’être chers, et n’avait pas connu de meute depuis des années. Il fallut plusieurs mois de bataille bureaucratique avant que Miroslav, et seulement Miroslav, ne puisse adopter le garçon aux yeux de la loi.


Russell ignorait si la Nouvelle-Angleterre était particulièrement dangereuse, si les temps étaient plus durs, ou s’il n’avait jamais réalisé auparavant la présence des chasseurs. Toujours était-il que dans les quelques dizaines de mois qui suivirent, le couple bougea au sein de la région et récupéra deux autres orphelins. Une sorcière adolescente nommée Angie, et un bébé qu’ils nommèrent Rosa en raison d’un pendentif en sa possession. Avec trois enfants sous leur giron, le couple d’hommes mûrs dut cesser le bénévolat ainsi que les heures interminables de travail. Miroslav prit officiellement sa retraite, mais continua d’agir à titre de consultant pour diverses compagnies, et Russell emboîta le pas. Son boulot lui avait laissé en cadeaux de jolis problèmes de dos, de toute manière, et il ne voulait pas rendre la situation pire encore.


Les adultes décidèrent de s’installer avec leur famille reconstituée dans la ville tranquille et sécuritaire de Fearwood. Depuis quatre ans, ils vivent loin des oreilles indiscrètes, dans une maison au coeur de la forêt. Un petit coin de paradis qu’ils étaient heureux d’avoir dénichés. Jusqu’à ce qu’ils ne rencontrent leurs voisins les plus près. Des gens exubérants, chaleureux et kitschs, qui agaçaient donc le sorcier, alors que son désormais mari semblait les considérés comme ses propres parents. Heureusement pour Russell, ils quittèrent éventuellement leur demeure, qui tomba en possession d’un être beaucoup plus raisonnable. Un être taciturne qui était venu en aide au sorcier lorsque celui-ci s’était retrouvé en panne. Un mécanicien.  Russell savait apprécier à juste titre le respect du jeune pour le silence.