Un soir de juillet, il y a 16 ans de cela, à Thunder Bay, Canada.C’était une de ces nuits à la chaleur suffocante, celle qui fait que même les fenêtres ouvertes, on ne parvenait pas à trouver le sommeil. Mais ce n’était pas la température ambiante qui empêchait Sophia de dormir, mais la perspective de son anniversaire le lendemain. Demain, elle aurait 12 ans. Elle était impatiente de découvrir quel cadeau allaient lui offrir ses parents. Serait-ce cette belle bicyclette bleue qu’elle avait vue l’autre fois dans le magasin ?
Un bruit dehors attira son attention, la fillette reconnu sans peine le grincement caractéristique du portail de leur jardin. Elle se précipita à la fenêtre et aperçu la silhouette de son père s’éloigner en direction du parc qui jouxtait la demeure familiale. Où donc pouvait bien se rendre Thomas Blake à 2h du matin ? Soudain une idée germa dans l’esprit de Sophia. Peut-être qu’il allait chercher son cadeau d’anniversaire dissimulé quelque part dans le parc pour ne pas qu’elle ne tombe dessus par mégarde dans la maison ?
La curiosité l’emportant sur la raison et la crainte d’une éventuelle punition, elle décida de suivre son père afin de découvrir ce qu’il manigançait. Car la raison de cette balade nocturne venait obligatoirement du fait qu’elle avait 12 ans demain, quoi d’autre sinon ?
Le cœur battant, elle descendit les marches de l’escalier, prenant soin d’éviter celles qui grincent – la 3ème et la 5ème – enfila prestement ses tongs et se lança à la suite de son père. La nuit était agréable, éclairée par la lune, mais quelques éclairs commençaient à zébrer le ciel tandis que le tonnerre grondait sourdement au loin. D’ici peu, un orage s’abattrait sur eux, c’était certain. Elle repéra son père, et devina où il se rendait. Il y avait une sorte d’abri de tornade à l’abandon non loin de là, un genre de bunker semi enterré. Elle le savait car elle l’avait découvert en se promenant – bien qu’elle n’ait normalement pas le droit d’aller aussi loin seule – et si l’endroit l’avait intriguée, il l’avait également effrayée, et elle n’avait pas cherché à en savoir plus sur ce qu’il pouvait bien y avoir derrière cette porte métallique close.
Elle arriva juste à temps pour voir son père refermer la porte sur lui. Elle se dissimula derrière un buisson, fermement décidée à faire le guet. C’était désormais une certitude dans la tête de Sophia, son cadeau d’anniversaire – très certainement la fameuse bicyclette – était caché dans ce cabanon. Peut être même qu’il fallait le monter ? Faire les derniers réglages ? Trépignant d’excitation, elle ne se renfrogna même pas quand la pluie commença à tomber. Elle n’avait pas peur des orages, au contraire elle aimait çà. Et avec la canicule, l’eau de pluie était la bienvenue. En revanche, au bout d’une heure d’attente – cela faisait un moment que la pluie avait cessé – l’adolescente commença à trouver le temps long. C’était si compliqué que çà à assembler un vélo ? Elle commençait à piquer du nez quand le chuintement de la porte la fit sursauter. Enfin ! Son père ressortait. Les mains vides. Mais Sophia n’eut pas vraiment le temps de s’apitoyer sur sa déception : lorsqu’il passa près d’elle, elle put distinguer avec précision l’expression qu’arborait son père et son regard. Chose qu’elle n’oubliera jamais. Une lueur malsaine, violente, brillait dans ses yeux. Ses traits étaient tirés, figés dans une expression qu’elle ne lui connaissait pas mais qui l’effraya au plus haut point. Elle ne reconnaissait tout simplement pas son père, c’était comme s’il avait remplacé par un monstre, le même que dans ses pires cauchemars. Le souffle court, elle attendit qu’il soit loin avant d’oser esquisser le moindre geste, et sortir de sa cachette.
Elle s’attarda sur la porte close, remarquant qu’une chaîne et un cadenas la verrouillait. Elle avait entre aperçu son père fourrager dans les hautes herbes à côté de l’abri, mue par un réflexe, elle plongea sa main dans le kudzu, ne sachant trop ce qu’elle cherchait. Lorsque ces doigts rencontrèrent le contact froid du métal, elle sut que c’était la clé du cadenas. La curiosité reprenait le dessus sur les émotions de la jeune fille. Si elle jetait un œil et refermait ensuite, personne ne le saurait ? Son père ne reviendrait probablement pas là cette nuit, c’était le moment idéal.
C’est ainsi que Sophia découvrit la pire des horreurs dont est capable l’être humain. La cabane sentait le renfermé, le moisi, et d’autres odeurs fétides non identifiées par l’enfant, mais instinctivement lui donnait la chair de poule. Ses yeux déjà habitués à l’obscurité distinguèrent une forme dans le fond de la pièce, tandis qu’un gémissement mêlé à un sanglot étouffé parvint à ses oreilles. Se souvenant qu’elle avait glissé une lampe torche dans la poche de son short avant de sortir dans la nuit, elle s’en saisit d’une main tremblante et l’alluma. Le faisceau timide de la lampe lui permit de découvrir avec stupeur et horreur une jeune femme, dénudée, ligotée et bâillonnée, aux longs cheveux blonds, le visage et le corps tuméfié.
Sophia reconnu alors dans les effluves l’odeur du sang, le sang de la victime allongée au sol devant elle. Tout comme elle put voir des dizaines de clichés polaroïds sur le mur en face d’elle. Des clichés de la fille blonde, et d’autres filles aussi. Sur certaines photos, Sophia était persuadée que la vie avait quitté ces pauvres femmes. Surmontant sa peur et son dégoût, elle se précipita vers la fille, et lui ôta son bâillon.
«
Ne criez pas, n’ayez pas peur, je vais vous délivrer. Je m’appelle Sophia, et vous ? »
L’inconnue aspira une grande goulée d’air lorsque le bâillon fut enlevé.
«
Dépêches toi, je t’en supplie, dépêches toi avant qu’il ne revienne, il va nous tuer sinon. » parvint-elle à hoqueter entre deux sanglots. «
Aylinn. Je m’appelle Aylinn. »
Sophia fouillait un peu partout à la recherche d’un couteau ou quelque chose s’en approchant pour couper les liens qui entravaient Aylinn. Elle dénicha un vieux cutter qui devrait faire l’affaire.
«
Ne bougez pas, je vais couper les cordes. » Galvanisée par l’adrénaline, elle ne tarda pas à scier tous les liens. Aylinn était libre. Mais aura-t-elle la force de se trainer dehors ? «
Il va falloir se lever, et marcher. Vous pouvez le faire ? » Tout en parlant, Sophia ramassa une vieille couverture qui trainait au sol et couvrit la jeune femme.
«
Oui, je pense pouvoir y arriver…. » balbutia Aylinn, abasourdie par l’aplomb de l’adolescente qui venait à son secours. «
Mais comment as-tu su que j’étais là ? Que faisais tu là ? Quel âge as-tu ? »
Sophia tenta de répondre avec plus ou moins précision aux questions que lui assénait la jeune femme. Comment pouvait-elle décemment lui avouer que l’homme qu’elle fuyait et qui l’avait visiblement torturée, violée, elle et à priori d’autres femmes au vue des photos sur le mur, était son père ? Même elle avait du mal à le croire, alors que pourtant elle l’avait vu. Elle l’avait lu dans son regard fou quand il était sorti de là.
************************************************************
L’affaire fit grand bruit. Le respectable père de famille qu’était Thomas Blake étant donc un de ces tueurs en série dont on parlait dans les journaux, à la télé. Sophia fut projetée sous le feu des projecteurs, après tout, ce n’était tous les jours qu’une gamine de 12 ans libérait la victime d’un psychopathe, et encore moins allait dénoncer celui-ci au commissariat le plus proche en déclarant qu’il s’agissait de son propre paternel. La presse en faisait les choux gras, se délectant des moindres faits et gestes de Sophia Blake et du reste de sa famille.
Sa mère refusa d’admettre la vérité, comment aurait-elle pu vivre vingt ans de sa vie aux côtés d’un tueur, d’un violeur, sans s’en apercevoir ? Sans même avoir l’ombre d’un doute ? Thomas Blake n’avait jamais été un saint non, il avait ses accès de colère, s’absentait par périodes…. Mais non, ce n’était pas un assassin, ce n’était pas possible pour Mme Blake. Elle rejeta toute son amertume sur sa fille, celle par qui le scandale avait éclaté, allant jusqu’à ne plus supporter sa vue. Ce fut son frère – l’oncle de Sophia – qui, pressentant l’urgence de sortir de ce bourbier la petite, décida de l’éloigner de Thunder Bay et de cette exposition malsaine pour une durée indéterminée, et la recueillit chez lui, à Richmond, en Virginie. Sa mère ne s’y opposa pas, loin de là. Elle ne s’opposa pas non plus à ce que Sophia change de nom, et devienne Sophia Maxson, le nom de son oncle et nom de jeune fille de sa mère. Ainsi, l’adolescente put repartir sur de nouvelles bases et entamer une nouvelle vie, sous couvert de l’anonymat.
Tandis qu’elle poursuivait ses études et menait une vie « ordinaire », du moins autant que faire ce peut, un roman et un film inspirés de la nuit de ses 12 ans et des crimes de son père firent leur apparition. Son père, croupissant en prison sous haute surveillance, prenait un malin plaisir à répondre aux interviews qui s’offraient à lui, profitant de cette médiatisation, cherchant même à écrire une autobiographie.
Sa mère brilla par son absence et son silence. Mais peut être que cela n’était pas plus mal finalement pour l’équilibre et le bien être de la jeune fille. Equilibre malgré tout précaire, même si elle était enveloppée dans un cocon sécuritaire par son oncle et son copain.
L’année de ses 16 ans sorti le film mettant en scène la nuit maudite. Ses amis voulurent aller le voir, et Sophia, bravarde, décida de les accompagner. Au bout d’une demie heure elle du sortir de la salle précipitamment, prétextant un malaise. Heureusement, à aucun moment ses amis ne soupçonnèrent que l’héroïne du film qu’ils venaient de voir était en faite leur camarade.
Il fut dénombré en tout 18 victimes à l’actif de Thomas Blake. Lors de son procès où il fut condamné à perpétuité il était question de 7 femmes, toutes âgées d’une vingtaine d’années, étudiantes pour la plupart. 8 si l’on comptait Aylinn, seule survivante du lot. Puis, derrière les barreaux, en l’échange d’interviews, Blake délivra au compte goutte d’autres noms, accompagnés des lieux de sépulture. Chaque fois, évidemment, l’affaire ressortait des limbes médiatiques, ce dont l’oncle de Sophia tentait de la tenir écartée et épargnée.
Cette dernière fut longtemps hantée par la vision de son paternel, au commissariat où elle avait trouvé refuge avec Aylinn, lorsque celui-ci fut arrêté. Elle était sortie de la salle où les policiers l’avaient installée pour aller chercher un verre d’eau à la fontaine. Au même moment, son père franchissait le seuil de l’entrée, menottes aux poignets, encadré et fermement tenu par les représentants de la loi. Il passa juste à côté d’elle, sans même avoir un regard pour sa fille. Vint ensuite sa mère et sa bardée de reproches.
Contre toute attente, elle demeura en contact avec Aylinn. Les deux filles malgré l’écart d’âge de près de dix ans étaient très proches, très attachées l’une à l’autre, et le sont d’ailleurs toujours. Aylinn parvint à surmonter son traumatisme et à reprendre sa vie et ses études en main. Elle est désormais mariée et mère de famille et vit à New York.
Sophia quant à elle, à défaut d’avoir pu lire dans les pensées de son père et comprendre pourquoi il était ainsi, fit son cheval de bataille de combattre et débusquer tous les autres psychopathes. Comprendre leur fonctionnement, leurs pensées, leurs motivations, entrer dans leur esprit retord pour mieux les arrêter et sauver ainsi des vies innocentes. Ce qui aurait pu la détruire fit sa force, et elle se lança dans des études de psychologie et de criminologie. Etudes qu'elle a achevé récemment. . Elle passa dans la foulée tous les examens nécessaires à l’entrée au FBI qu’elle réussi brillamment et se retrouva à Quantico. Elle est désormais agent fédéral, rattachée au département des sciences du comportement. Elle fait partie du programme VICAP et enseigne la criminologie aux nouvelles recrues régulièrement à Quantico.
Côté affectif, elle n’a jamais vraiment laissé d’opportunité à un homme de pouvoir entrer dans sa vie. Elle n’est pas une nonne non, mais après l’exemple catastrophique de ses parents, elle a énormément de mal à s’imaginer mariée à un homme, vivre avec durant des années. Elle n’arrive principalement pas à accorder sa confiance. Si son père a pu mentir à sa mère et mener une double vie durant si longtemps, comment peut-elle être sûre que l’histoire ne se répétera pas ?
Sa mère est devenue une grande inconnue pour elle. Ses plus chers parents se sont ses oncles, et elle ne chercha pas plus. Elle savait que Mme Blake était toujours en contact avec son époux et lui rendait régulièrement visite à la prison, même encore 16 ans après.
A 28 ans désormais, avide de renouveau, elle vient de dénicher une jolie petite maison à Fearwood. Exit l'effervescence de Richmond et son petit appartement exigu, bonjour le charme des petites villes et les jardins fleuris. Son poste à Quantico lui permet de s'octroyer ce plaisir, et elle est ravie de se ressourcer chez elle lorsqu'elle n'est pas sur la base fédérale.
Il y a quelques mois, un gala de charité fut organisé à l'Université de Virginie, à Charlottesville, là où Sophia fit ses études. Quelques anciens élèves eurent le privilège d'y être invités, choisis par leurs professeurs, et elle en fit partie. Elle accepta avec plaisir. Là bas, elle fit une rencontre pour le moins... inattendue. En effet, Sophia eut l'occasion d'échanger longuement durant cette soirée avec un dénommé Gabriel Belmont. Un homme érudit et attirant, force à elle de l'admettre, il ne la laissa pas indifférente. Rares étaient les fois où elle pouvait discuter ainsi avec un homme en toute liberté, abordant divers thèmes qui lui tenaient à coeur, tels que la criminologie en premier lieu. Ils se découvrèrent également des points communs, notamment au niveau de leurs valeurs. Et Gabriel parlait français, une langue que Sophia maîtrisait parfaitement de par sa mère franco-canadienne. Ils s'étaient amusés à échanger dans cette langue à certains moments de la soirée. Mais fidèle à elle même, elle le laissa filer à l'issue de cette soirée, sans même lui demander un numéro de téléphone. Trop dangereux pour sa farouche indépendance qu'elle s'escrimait à conserver coûte que coûte. Néanmoins, cette fois ci elle s'en mordit les doigts. Elle fit des recherches sur internet, mais mis à part le fait qu'il était gérant d'atelier d'armes à feu, et qu'il était un gros actionnaire et membre d'une grande famille française, elle ne trouva rien de plus. S'en était presque étonnant en soi, à l'heure où tout le monde est répertorié sur internet grâce aux réseaux sociaux.
Alors Sophia se fait une raison, même si le visage de cet homme hante encore parfois ses rêves durant son sommeil. Elle ignore encore que le destin va rapidement s'en mêler.
Accueil 
